Mais qui est Maman géographie ?
    Marie Treps, "Lâche pas la patate"
    
    Les géographes tropicalistes nous cachaient quelque chose. Notamment 
    ceux qui vont en Afrique subsaharienne. Ils connaissaient tous l’existence 
    d’une personne, au nom très original. 
    Et ils ne nous l’ont pas dit. Une femme commerçante qu’on 
    appelle dans ces pays... Maman géographie. La ville où l’on 
    en croise encore un peu - encore que... vu l’état de délabrement 
    économique du Congo-Kinshasa - est la capitale de l’ancienne 
    colonie belge, celle qui a appartenu personnellement au roi belge, Léopold 
    II.
    C’est Marie Treps qui dans son dernier livre, Lâche pas 
    la patate ! (Le Sorbier), a retrouvé cette expression qu’elle 
    met en regard avec une autre expression africaine, 
    « Mama Benz » plus en usage, elle, en Afrique de l’Ouest 
    :
    « Ma première est une commerçante qui se déplace 
    beaucoup. La Maman géographie en fait des kilomètres, elle en 
    voit du pays ! Ma seconde est une commerçante devenue riche, à 
    présent, elle se déplace en Mercedes Benz... » (p. 
    54)
    Ainsi va notre langue française dans d’autres contrées. 
    Les mots « ambiancent » comme on dit aussi en Afrique : ils s’amusent. 
    Les mots sont bien avec les Africains, les Québécois, les Réunionnais 
    : justement, « avoir bon » avec toi et « être à 
    la ducasse » en Belgique veut dire qu’on a du plaisir à 
    être avec telle personne, notamment pensant les fêtes foraines 
    qu’on appelle en pays wallon les ducasses. Les Québécois 
    préfèreront « C’est l’fun », eux qui 
    aiment tant taquiner le goujon de l’anglais qu’ils ne parviennent 
    pas totalement à chasser : « c’est pas l’fun d’avoir 
    des cousins qui aiment « être benaise », c’est-à-dire 
    dans un état d’abandon agréable, expression qu’on 
    trouve encore dans les mailles du bocage poitevin ? 
    A moins qu’en souvenir du cauchemar de Katrina, on respire au bord du 
    Mississippi 
    en « laissant les bons temps rouler », c’est-à-dire 
    profiter des bons moments.
    Etudiants de la rentrée, ayez la niaque !
    Pour mettre au chapitre des bonnes résolutions de la rentrée, 
    on donnera les quelques conseils que voici aux étudiants : « 
    Travaillez d’arrache-poil » comme les Québécois, 
    non pas d’arrache-pied qui sent la terre sous les sabots de vos ancêtres. 
    
    « Faites caïman » ou « Caïmantez ! » si 
    vous connaissez les marigots de la Côte d’Ivoire. 
    Là où les crocos attendent le départ du chasseur pour 
    revenir à la surface. 
    Caïmanter, c’est se lever après le passage du surveillant 
    pour étudier dans le dortoir. 
    Autrement dit, travailler beaucoup, y compris la nuit. 
    « Pas question d’allez gazer ce soir, il faut caïmanter ! 
    »
    Et s’il vous manque le sou dans la journée, faites « la 
    débrouillardise » ! 
    A moins que vous ne parliez à des Suisses, traduisez « allez 
    ! détortillez-vous ! » 
    Car au pays de Heidi, si vous voulez arriver très haut dans la vie, 
    
    non seulement il faut se détortiller, mais il faut grimper sur les 
    autres, il faut « grimpionner ».
    Ou alors, tenir bon. Car au Québec, on se souvient (comme c’est 
    écrit sur les plaques minéralogiques), on se souvient des années 
    difficiles où les pommes de terre étaient rares, alors, pas 
    question de se décourager, surtout « lâche pas la patate 
    ! »
    Vous « avez le bleu » comme les cousins du Saint Laurent ? Ou 
    « le black » comme ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon ? Surtout, 
    « n’accrochez pas vos patins ! », vos crampons ou tout ce 
    que vous voulez. Dans la lutte, on ne jette pas l’éponge. 
    Les Dakarois sont d’accord : eux, ils ne « baissent pas les pieds 
    » comme nous baissons parfois les bras. Même quand leurs cousins 
    du Burkina prétendent que « c’est caillou », 
    c’est dur le chemin de la vie...
    En début d’année, on peut toujours « rêver 
    en couleurs » comme les étudiants de McGill, autrement dit, se 
    faire des illusions. On peut « rêver aux ours », c’est-à-dire 
    faire des cauchemars, ce qui n’est pas du goût des écologistes 
    pyrénéens. Et si, en fin de semestre, on rate les partiels, 
    on fait comme au Togo : on se « serre la mine », on peut se renfrogner, 
    au moins le temps de la déception. 
    Car à Kinshasa, on comprend que pendant un examen, la « tête 
    a dormi », elle a pu être en panne... Mais quelle honte s’il 
    fallait être un « vieux cahier » ou un « tome deux 
    », 
    expressions camerounaises pour désigner un redoublant.
    Et les lieux ?
    Une petite visite géo-métonymique aux « lieux » 
    qu’on prendra plaisir à faire dans ce bel hommage au français 
    de l’extérieur, on pourra « aller chez madame Victor » 
    
    comme en Haïti, « al kay Madan Vikto » en créole. 
    
    Ce sont ces lieux là, où l’on est un peu tranquille, où 
    se met à l’aise, comme les Français d’autrefois 
    les appelaient les « commodités », qui resté sur 
    l’île d’Haïti, « aller à la commode ». 
    
    Ici, dans nos pays riches, de plus en plus de gens les utilisent comme plate-forme 
    pour envoyer des SMS, par besoin de discrétion ou pour ne pas gâcher 
    le temps devenu si rare. 
    Autre valorisation de ces parcelles d’anti-monde domestique cher à 
    Brunet...
    Et si vous rêviez d’une belle année académique, 
    ne pensez pas que les « fiançailles académiques » 
    du Congo-Kinshasa sont le top. Car les vacances séparent toujours les 
    amoureux, c’est bien connu. 
    Alors, méfiez-vous des amours d’une année. 
    Vous risquez de perdre comme à Dakar ou Abidjan votre « chéri(e)-coco 
    » 
    à moins que la chance ne vous sourie comme à Yaoundé, 
    
    où lorsqu’on est une fille, on peut espérer garder son 
    « chaud » 
    et si l’on est un garçon, ne pas perdre sa « chaude ».
    Maman géographie est peut être plus qu’une gyrovague sous 
    les tropiques. 
    Un clin d’oeil à Eugée qui avait été débusquée 
    par Michel Sivignon ? 
    Ou une véritable reconnaissance pour la valeur des distances ? 
    Une chose est sûre, qui réjouira les féministes : Papa 
    géographie n’existe pas. 
    L’expression ressemblerait trop à un pléonasme.
Gilles Fumey