LA TRIBUNE DE GENÈVE | 20 février 2009
Jérôme Estèbe : Vous aimerez vous faire traiter de "salopp" ?
La linguiste Marie Treps publie un ouvrage sur les "Mots Migrateurs",
ces termes francophones adoptés par d’autres langues.
De «chevaleresk» à "selavi!", via « besamel
».
Les expressions d’origine française grouillent dans les langues
européennes. Les Russes soupirent ainsi selavi! (c’est la vie),
noblesse oblige ou cherchelafame (cherchez la femme).
Les Polonais se régalent d’omleta, besamel ou de biskvits. Pendant
que les Anglais succombent à un coup de foudre, si possible avec une
femme fatale, voire une coquette, dès le premier rendez-vous. Notre rendez-vous
adopté d’ailleurs par la plupart des peuples du Vieux-Continent,
même par les Grecs, qui se filent volontiers ranteboù.
On découvre l’histoire et suit la trace de ces vagabonds lexicaux
dans le récent et palpitant Mots migrateurs, de Marie Treps, linguiste
au CNRS. Comme sa collègue Henriette Walter, la chercheuse a travaillé
et publié plusieurs essais sur le vocabulaire nomade. Elle débusque
donc ici les mots français exilés dans les diverses langues européennes,
parfois sous de fausses identités orthographiques.
De la garderob (garde-robe) suédoise à l’oekolons (eau de
Cologne) lettonne, en passant par le Danemark, où l’on sait se
montrer chevaleresk et diskret.
Nombre d’académiciens et autres exégètes sourcilleux
hurlent aujourd’hui à la contagion anglo-saxonne de notre beau
parler francophone.
Les Mots migrateurs de Madame Treps prouvent, une fois encore, que le lexique
est enfant de bohème. Et qu’à des époques récentes,
c’est le français qui s’en est allé taquiner les voisins.
Au XVIIe et XVIIIe siècles en particulier, où l’esprit et
le savoir-vivre hexagonal rayonnèrent large. Mais aussi où nombre
de mots se retrouvèrent poussés sur les routes d’Europe,
dans les valises des exilés de la Révocation de l’Edit de
Nantes, puis de la Révolution.
Il y a évidemment des registres où les emprunts étrangers
s’avèrent plus nombreux. Au hasard, les joies de l’alcôve
et celles de la table. Tu m’étonnes. Aspic, chou à la crème,
julienne ou profiteroles ont ainsi essaimé jusqu’à l’Oural.
Côté galipette, idem.
Les Allemands prévoyants se munissent d’un pariser, un Parisien,
soit une capote anglaise, pour rencontrer une ou une personne salopp. On en
voit d’ici qui sursautent. Du calme. Salopp qualifie quelqu’un de
«sympathique, facile à vivre». Ouf, la morale est sauve.